Tiers-lieux et politiques territoriales : contextualisation
Conceptualisés par Ray Oldenburg en 1989, les tiers-lieux fêtent en 2019 trente années d’essor, de développement et d’insertion dans le monde du travail, récompensés par le lancement en ce mois de juillet d’un important plan national de développement.
Concept phare de l’urbanisme économique, ils focalisent l’intérêt des acteurs du développement urbain et se voient placés au cœur des politiques publiques à toutes les échelles.
Ces « Nouveaux lieux, [créateurs de] nouveaux liens » – c’est le nom du plan gouvernemental – font l’objet d’un engouement outrepassant l’effet de mode, et semblent s’imposer dans les préoccupations politiques comme des solutions socio-économiques répondant aux nouveaux besoins des travailleurs et aux attentes en matière de rayonnement des territoires.
Les tiers-lieux sont au cœur de l’urbanisme économique du XXIème siècle.
Qualifiés de « tiers » pour décrire un intermédiaire entre l’espace public et l’espace privé, ou encore une situation à mi-chemin entre le domicile et le lieu de travail classique, ces espaces constituent une partie de l’offre d’immobilier d’entreprises, considérée comme alternative.
Celle-ci est distincte de celle des IPHE (incubateurs, pépinières et hôtels d’entreprises pour jeunes entreprises) et se compose d’espaces de travail partagés, souvent hybrides, à destination des micro-entreprises, entrepreneurs indépendants, « freelances » ou télétravailleurs à la recherche d’un espace facilitant la rencontre entre travailleurs. S’érigeant en espaces d’émergence de créativité et d’innovation, les tierslieux ne sont pas seulement des espaces physiques, mais aussi des espaces sociaux misant sur le réseau d’acteurs, les échanges et les interactions.

Recencement des tiers-lieux à proximité de Douai – Objectif-ville (juin 2019)

Morning OS – Quartier Gallieni à Bagnolet (source : Morning Coworking)
Objectif Ville, dont certains types de missions de programmation économique portent sur l’implantation d’immobilier d’entreprises alternatif, côtoie quotidiennement et directement l’univers des tiers-lieux, du moins son visage francilien. Ses bureaux sont en effet installés depuis septembre 2018 dans les locaux du complexe Morning OS, au sein du quartier Gallieni à Bagnolet. Il s’agit de l’une des dix-neuf structures du réseau Morning Coworking, géant du coworking parisien et filiale de Bureaux à Partager (BAP). Cette dernière loue des locaux à des propriétaires disposant de bureaux provisoirement vides, pour en faire des espaces de travail éphémères, généralement un à trois ans, flexibles et à des prix attractifs, pour assurer le remplissage des espaces.
Aujourd’hui, en France, les tiers-lieux recouvrent des réalités très singulières. Ils ont été rigoureusement recensés, détaillés et cartographiés dans le rapport « Mission Coworking -Territoires Travail Numérique – Faire ensemble pour mieux vivre ensemble » réalisé en 2018 par Patrick Lévy-Waitz avec l’appui du CGET, et dont nous citerons plusieurs données significatives ci-après.
De la plateforme de coworking parisienne soutenue par un grand investisseur immobilier à l’espace partagé associatif rural en passant par le repair café de quartier, les tiers lieux ne comptabilisent pas moins de 1 800 structures sur le territoire en 2018. Tout en reconnaissant que le phénomène est encore trop récent pour avoir un recul suffisant sur leur rayonnement, et que celui-ci dépend de nombreux facteurs attenant au lieu et territoire qui l’accueille, le rapport cite par exemple l’impact écologique des tiers-lieux ou encore les retombées économiques positives générées pour certains territoires (créations d’emplois, nouveaux équipements …).

Toutefois, en 2017, 63% des tiers-lieux ne sont pas économiquement profitable, et près de la moitié d’entre eux sont déficitaires. La question des facteurs de réussite des tiers-lieux se pose inéluctablement pour les porteurs de projets et les investisseurs publics, privés et les exploitants.
En ce qui concerne les espaces de coworking, qui restent pourtant les tiers-lieux les plus profitables, les dépenses contraintes sont relativement stables – principalement liées à l’immobilier (40%) et aux salaires des équipes et des propriétaires (21%) – et ne sont pas toujours compensées par les recettes, relativement instables car provenant de la location des espaces aux travailleurs individuels et aux entreprises.
En réponse aux recommandations émises dans le rapport de Patrick Lévy-Waitz, qui suggère notamment une amélioration des conditions financières d’émergence et de maintien des tiers-lieux, le gouvernement a décidé de favoriser leur développement sur le territoire national, en les considérant comme de véritables outils d’aménagement du territoire. 15 millions d’euros seront ainsi déboursés pour soutenir les 300 porteurs de projet qui seront sélectionnés à la suite de l’appel à manifestation d’intérêt (AMI), lancé dès ce 12 juillet dans le cadre du plan « Nouveaux lieux, nouveaux liens ». 300 projets émanant du public, du privé ou de la sphère associative seront identifiés d’ici à 2022, et recevront une enveloppe de 75 000 à 150 000 € sur 3 ans pour se développer et trouver un équilibre financier.

Tiers-Lieux labéllisés «Tiers-Lieux Normandie (source : l’Atelier Normand)
Parallèlement, des programmes régionaux ont déjà été impulsés sur cette thématique d’actualité, à l’instar de la Stratégie Numérique Normande, initiée fin 2017, qui veut attribuer le label « Tiers-Lieux Normandie » à 50 structures d’ici 2021 pour les accompagner financièrement et les structurer en réseau, ou encore de l’appel à projet « aide à la création de tiers-lieux » lancé en mars 2019 par la Région Île-de-France pour créer 1 000 nouveaux tiers-lieux d’ici 2021 et faire de ce concept une priorité régionale. La Région Nouvelle-Aquitaine, dont le soutien financier aux tiers-lieux représente chaque année 1 million d’euros a quant à elle signé en 2018 une convention avec la Coopérative des tiers-lieux, qui fédère les tiers-lieux à l’échelle régionale, pour atteindre d’ici à 2021 le nombre de 300 tiers lieux, ce qui représenterait tout-de-même une augmentation de 40% en 3 ans !
Les tiers-lieux ayant d’abord vu le jour spontanément dans les bassins d’emploi attractifs, ces programmes n’ont d’autre visée que d’élargir et renforcer cette dynamique aux territoires périphériques. Le programme interministériel prévoit ainsi que la moitié des « fabriques de territoires » seront implantées dans des quartiers prioritaires de la ville, ambition qui s’associe à une volonté gouvernementale d’offrir à tout le territoire français une couverture Très Haut Débit sur le plan numérique. Les Régions portent également cet objectif, et à titre d’exemple, en Île-de-France, les zones rurales sont plus particulièrement ciblées par le programme régional.
En somme, le phénomène des tiers-lieux semble avoir fait ses preuves aux yeux des décideurs publics, au point de susciter de telles mesures de soutien financier. Reste à ne pas considérer cette solution comme un remède miracle pour les territoires, les critères de réussite des tiers lieux – tant en matière de modèle économique que de rayonnement territorial – s’avérant aussi complexes à trouver que les tiers-lieux sont divers et les territoires hétérogènes.