La requalification des zones d’activités économiques et commerciales : limites et atout
La question de la qualité et de la densité des zones d’activités hante l’urbanisme depuis que ce phénomène a explosé dans les années 1970. Il fallut néanmoins attendre le tournant des années 2000 à 2010 pour que des démarches de requalification solides voient le jour, appuyées par de nouveaux outils forgés pour accompagner la dynamique. Mais est-ce que le traitement cosmétique des lisières, de l’agencement du bâti ou de la voirie suffira pour impulser de nouvelles dynamiques économiques et commerciales ?
L’émergence du phénomène des zones d’activités économiques et commerciales
De tout temps, les hommes ont cherché à isoler les activités nécessitant d’importantes emprises foncières, ou génératrices de nuisances telles qu’il était préférable de les éloigner des tissus d’habitations : fermes-usines, manufactures royales, abattoirs, chantiers navals, hauts fourneaux, usines automobiles fordistes, entrepôts logistiques XXL…
Pourtant, à l’orée des années 1960, un mouvement inédit d’exode des activités vers la périphérie des villes a débuté. Ce mouvement d’évasion s’est produit sous l’effet des théories de séparation des fonctions urbaines, de la pression foncière générée par l’exode rural et le « baby-boom » à l’intérieur des tissus urbains constitués, ou de la volonté des acteurs économiques de trouver du foncier à des coûts raisonnables et proche des principaux axes de transport routier pour développer leur activité.
Il concernait cette fois tout type d’activités, des plus petites comme l’artisanat, à celles compatibles avec l’habitat, comme le commerce ou le tertiaire. Il s’est particulièrement accéléré sous l’égide des acteurs communaux après les lois de décentralisation.
Nombre de territoires voyaient en effet dans le développement des zones d’activités un moyen de rendre leur territoire attractif dans un contexte de crise économique, et par conséquent de fixer l’emploi sur leurs communes et de développer leurs ressources fiscales.
Il en a résulté une forme d’aménagement très spécifique des entrées de villes, faite de bitume et d’une ribambelle d’ateliers en bardage métallique.

La prise de conscience progressive des problématiques générées par les zones d’activités économiques et commerciales
Très vite, des problématiques ont été identifiées, qui sont toujours d’actualité :
- Une consommation accrue d’espace, la moyenne des espaces bâtis ne s’élevant par exemple qu’à 25% des surfaces d’un panel de zones d’activités témoins sur les agglomérations de Saint-Nazaire et La Baule / Guérande en 2009 (source : étude sur la densité et la qualité des zones d’activités – Addrn) ;
- Une augmentation de la mobilité des véhicules individuels et des poids-lourds, à une époque où le coût du carburant est devenu un facteur d’importants mouvements sociaux et où la question de l’émission des gaz à effet de serre est devenue vitale ;
- Une périurbanisation généralisée, comme cela a été magistralement démontré par David Mangin dans son ouvrage « La ville franchisée » (2004) ;
- Un affaissement de la vitalité des coeurs de ville avec davantage de transfert d’activités vers les périphéries enregistrés que d’attraction de nouvelles entreprises depuis d’autres territoires, le taux de vacance commercial des centres-villes devenant récemment en conséquence un enjeu majeur de société.
Il fallut néanmoins attendre le tournant des années 2000 à 2010 pour que chacun mesure pleinement la part prise par les 24 000 à 32 000 zones d’activités économiques répertoriées (source : Service d’observation et d’études statistiques du ministère de l’écologie et du développement durable – 2010) dans l’étalement urbain, l’enlaidissement des entrées de ville et la dynamique mortifère des agglomérations ne disposant pas de la masse-critique suffisante pour s’insérer dans la mondialisation.
Même les acteurs économiques et commerciaux ont fait part plus récemment de leur malaise face à la contradiction évidente entre cette dynamique passée et leurs intérêts actuels (zones enclavées, manque d’attrait pour attirer des compétences, gages à donner en matière environnementale…). Cela témoigne ainsi des défauts initiaux de conception d’espaces répondant à l’époque principalement à des enjeux technico-économiques.

Les outils à disposition des acteurs publics
Nombre de territoires se sont dès lors engagés dans des processus opérationnels de densification et de requalification de ces espaces, s’employant à améliorer l’accessibilité, le stationnement, les interfaces entre espaces publics et privés, la densité et l’agencement du bâti, ou le niveau d’équipement et d’animation des zones d’activités.
Progressivement, des outils ont été forgés pour accompagner cette dynamique, qui a également été fondatrice pour concevoir des zones d’activités plus fonctionnelles et qualitatives :
- Les démarches d’observation du phénomène se sont multipliées et professionnalisées, afin de proposer un état des lieux objectivé ;
- Des schémas d’accueil des entreprises ont été conçus, pour donner des outils aux décideurs dans la détermination d’objectifs à atteindre dans des cadres de réflexion stratégique cohérents ;
- Les documents de planification réglementaire ont intégré une réflexion en matière de développement économique qui dépasse les simples questions de spatialisation de l’offre foncière à développer, et ce à des échelles territoriales plus importantes.
- Des méthodologies de bonnes recettes à respecter et de conseils pertinents sur le passage à l’opérationnel ont été imaginées, sanctionnées pour certaines par des labels, par exemple Bretagne Qualiparc ;
- Des programmes de formation ont été mis en place pour les développeurs économiques et les aménageurs, par exemple sous l’égide du CNFPT ;
- Des aménageurs, syndicats mixtes ou groupements d’intérêts économiques se sont positionnés comme des « managers de zones d’activités », par exemple Savoie-Technolac ou La Plaine de l’Ain. Il s’agissait ainsi pour eux de s’assurer de la pérennité des aménagements réalisés, d’accompagner les entreprises dans la conception de leurs bâtiments, d’offrir un interlocuteur unique pour répondre aux problématiques des entreprises ou d’animer le tissu existant.

Le rôle essentiel de la programmation urbaine à vocation économique et commerciale dans les processus de requalification des zones d’activités
Ces démarches – précieuses – nécessitent toutefois d’être accompagnées d’une réflexion économique ou commerciale. Celle-ci s’interrogera notamment sur l’utilité manifeste de telle ou telle zone d’activité – toutes se justifient-elles encore ? – ou sur le champ des possibles en matière de redéploiement immobilier et foncier, que ce soit en termes de vocation ou de dimensionnement. Il s’agit ainsi de savoir si une dynamique de croissance, indispensable pour générer des effets porteurs sur la requalification du site, existe bien.
Dit autrement, sans projet économique ou commercial de fond, le traitement cosmétique des dysfonctionnements ne peut pas régler le fond du problème. La programmation urbaine à vocation économique et commerciale peut ainsi apporter des réponses préalables à toute conception de plan-guide de requalification, même désagréables à entendre, en répondant aux questions que faire et pourquoi faire.

La mise en exergue de l’environnement concurrentiel ou des dynamiques des marchés fonciers et immobiliers, l’évaluation des interrelations entre l’offre et la demande immobilière, le diagnostic des caractéristiques et de la vitalité des activités, l’analyse fonctionnelle au regard des critères de commercialité sont des éléments à même de créer un socle solide pour évaluer le potentiel économique ou commercial d’une zone.
Ils fournissent ainsi des éléments précieux pour redéfinir une vocation économique et commerciale, établir une nouvelle programmation, déterminer les valeurs acceptables de commercialisation, voire proposer des montages opérationnels et financiers adaptés.

Ces éléments sont bien évidemment à confronter avec la question centrale de la domanialité, et éventuellement des droits commerciaux dans le cas spécifique des zones d’activités commerciales. De la question de savoir si la propriété est détenue par un investisseur unique, par une multitude de co-propriétaires avec un ou plusieurs locataires par bâtiments, ou une formule mixte avec quelques grands acteurs majeurs, dépend en effet une grande partie de la réponse à apporter à chaque cas de figure.
Aucune de ces configurations n’exclut par ailleurs la possibilité de développer de la mixité fonctionnelle pour générer de nouveaux droits à bâtir, comme le suggère le CEREMA (« Zones d’activité économique en périphérie : les leviers pour la requalification » – 2014), facteur essentiel pour améliorer l’équilibre économique des programmes de requalification.
A l’heure où le programme « Action Coeur de Ville » prend son envol, l’introduction de l’habitat dans les zones d’activités, qui cherche d’une certaine manière à transformer celles-ci en de nouveaux quartiers multifonctionnels de ville, pose toutefois la question de savoir s’il ne serait pas préférable de réintroduire de l’activité économique et commerciale au sein de centres-villes qui en ont tant besoin, plutôt que de rapprocher l’habitat de l’activité économique et commerciale !